En tout temps et toute civilisation l’homme a inventé, construit et amélioré des outils pour son confort, pour son plaisir, pour sa sécurité, en vue de se faciliter la vie, d’accroître ses moyens naturels, d’embellir son environnement, d’orner et soigner son corps. C’est cela, la sophistication de l’outil, les sex-toys d’aujourd’hui retrouvent sans difficulté une histoire et des ancêtres dans une certaine catégorie de cette multitude d’objets créés.
Ce qui est vraiment nouveau, c’est la modification à la fois de la qualité et de la quantité de ces objets, qui ont fait irruption sur ce que l’on appelait pas auparavant un marché ; au lieu d’un jouet artisanal, unique, souvent de riches et belles matières, chargé d’une certaine signification, forcément peu répandu, porteur souvent d’un sens symbolique – assez proche du fétiche ou de l’enseigne – se constate de nos jours la production industrielle massive indifférenciée d’objets destinés à l’accroissement de l’excitation et de la jouissance sexuelle.
Cette fabrication sérielle, délocalisée par nécessité économique, est parfois faite avec des matériaux médiocres, sans design, sans brevets, sans sécurité, avec peu d’innovation technologique ; chaque pièce, qui ne vaut parfois que quelques centimes, est néanmoins proposée à des dizaines, voire des centaines d’euros à l’utilisateur final. Sans citer les « poppers », parfaitement risqués, qui accompagnent souvent ces ventes.
C’est une surenchère sans précédent dans la mercantilisation des « supports sexuels », comparable de près à la surabondante production filmique pornographique. Par une ruse ultime, le passage furtif dans les sex-shops n’est plus nécessaire, ce qui a permis d’autres abords de l’achat et un autre type de médiation : les achats en ligne et les achats dans les boutiques féminines de luxe.
Quelle est la vraie signification de cet « ajout » dont nul ne pourrait se passer, à y croire, les personnes seules, les couples ? Qu’est-ce qui fait qu’un jouet, un morceau d’étoffe, un petit flacon, un produit en plastique, une panoplie, un jeu de société… soit nécessaire entre deux amants pour que monte de l’excitation et arrive la jouissance ? Pourquoi le partenaire n’est-il pas, n’est-il plus suffisant ? C’est là la question de fond qu’il convient de se poser.
A coté de quelques menus services rendus, par exemple par les boules intra-vaginales, qui font prendre conscience à la femme de son creux et renforcent la tonicité musculaire, par les bagues à glisser au bas du pénis érigé pour garantir une meilleure tenue de l’érection et ralentir la survenue de l’éjaculation rapide… quelle est la fonction réelle, l’utilité éprouvée de ces jouets sur le long terme, une fois la curiosité étanchée ? Encore faut-il, pour que ce partage soit sans ridicule et sans menace que le couple soit déjà rodé… Un homme est-il toujours heureux de trouver dans la table de nuit de sa compagne un godemiché, une femmes se réjouit-elle forcément de recevoir des menottes en cadeau érotique ?Qu’est-ce que chacun en comprend, en retient ?
C’est encore une fois l’histoire de l’enfant qui joue sous la table avec trois bobines, du carton et des ficelles, contraint par là à l’invention, à la parole, à la créativité, au rêve et qui donc s’amuse, s’exerce et apprend ; l’enfant à la chambre remplie de consoles, de peluches, de figurines, de jeux, d’écrans n’emploie rien de sa capacité à idéer, angoissé devant le choix, devant l’effort de comprendre, bientôt submergé et c’est là que le désintérêt et l’ennui naissent.
On peut convenir que se consumer pour et dans la chose érotique et entrer dans la ronde de la consommation mécanisée, standardisée et explicite de la génitalité ne se résument pas à une même chose. Je pense pour ma part que les hommes, -surtout-, sont singulièrement floués dans ce manège : a-t-on besoin d’en rajouter, vu leur malaise actuel devant des compagnes mutantes ?
Le leurre, par exemple, des réunions-ventes – qui se donnent pour objet la diffusion en groupe de ces sex-toys et de lingerie spécialisée – où les femmes bavardent, touchent, commentent, se confient sans retenue, réside à mes yeux dans l’évidente rupture du secret que chaque femme entretient avec son amant ; l’essence de l’érotisme résidant pour une large part dans le secret, le code de l’indicible, l’intime, ce type de réunions constitue pour l’érotisme une dangereuse effraction et une forme de trahison.