Sexologie-couple

Alcoolisme au féminin et fonction érotique

 


Si les conséquences sociales, culturelles, médicales de l’alcoolisation féminine sont connues, sait-on aujourd’hui mieux qu’hier prendre en charge le sevrage alcoolique et parler de prévention auprès des femmes
 ? Dans l’opinion publique l’idée qui prévaut est que les femmes alcooliques sont atteintes dans leur féminité. Dans la perspective sexologique, quelles sont les conséquences du sevrage sur leur vie érotique ?

J’ai choisi pour unité de mesure de cette recherche le thème de l’orgasme.

Après avoir interrogé 33 femmes alcooliques (dans le département du Nord) qui ont fait l’expérience de l’abstinence, -qui sont donc en mesure d’évoquer les répercussions de l’alcoolisation sur leur féminité -, je peux explorer les liens existants entre féminité, alcoolisation et orgasme.

A propos de l’alcool :

 L’alcool est une drogue qui, –en modifiant la perception de la réalité–, est considéré comme un ascenseur pour les rencontres et le plaisir. Les effets attendus sont connus et recherchés, il est, en effet, admis que l’alcool désinhibe, permet de transgresser les règles et peut permettre l’accès au plaisir.

En stimulant de façon répétée la zone de plaisir (ou de récompense) du cerveau, il provoque l’accoutumance :

La bouteille devient « la bonne à tout faire » et le glissement s’opère ainsi peu à peu vers la consommation à risque. L’alcoolisme, tolérable chez l’homme, paraît obscène chez la femme, il suscite dans la société, une réprobation, une indignation et une répulsion très vives.

S’ajoute l’inquiétude immédiate pour les enfants, ce qui rejoint une réalité incontestable :

L’alcoolisme féminin est un alcoolisme directement présent dans le foyer, malgré les tentatives de dissimulation, ce qui témoigne aussi des préjugés sociaux.

Les 33 entretiens :

La majorité des femmes interrogées connaissaient le produit “alcool” depuis l’enfance, le produit était présent au domicile familial. Boire de la bière était « normal » dans la région Nord, certaines familles fabriquaient leur propre bière, les enfants en consommaient. Ce qui explique aussi pourquoi pour bon nombre de personnes, encore aujourd’hui, la bière n’est pas considérée comme un alcool.

Plusieurs nous dirons : « au début, je buvais comme tout le monde », mais de quelle norme s’agit-il ? Si la rencontre avec le produit a souvent été festive et initiatique, l’origine de l’alcoolisme est pour la majorité d’entre elles en lien avec des problèmes personnels. Elles soulignent l’accumulation de difficultés qui les ont poussé à consommer de plus en plus mais surtout, elles sont en mesure de déterminer l’élément déclenchant, celui qui les fait « plonger » dans la boisson. Les femmes parlent spontanément d’engrenage…

Quelques élèments de réflexion :

La féminité :

Mon étude montre des perturbations de la féminité chez la femme alcoolique. L’arrêt de la consommation restaure de façon très nette le sentiment d’être femme pour la majorité d’entre-elles. Les perturbations du cycle liées à l’alcoolisme sont largement mises en cause par les femmes interrogées. Le corps féminin est lié aux cycles, c’est un élément à ne pas écarter lors de l’entretien.

L’orgasme :

Il est rarement atteint par les femmes alcooliques alors que le désir peut être néanmoins présent. L’orgasme est un réflexe et il génère une tension dans tout le corps. Cette tension semble altérée par la prise d’alcool.

Le désir :

C’est un lien entre le désir et la consommation d’alcool qui apparaît très clairement dans ma recherche. Je me suis demandé quelle était la place de l’alcool dans l’excitation et dans les rituels du couple ? L’alcool est-il le ciment du couple dans le sens où il joue le rôle de liant, permet-il de susciter l’envie, le jeu…Je propose le concept d’empreinte alcoolique pour évoquer la ritualisation de la prise de cet aphrodisiaque dans un but érotique.

L’estime de soi :

L’alcool est souvent une tentation pour ces femmes dont l’estime de soi est vulnérable car il est l’échappatoire à la vision critique qu’elles ont d’elles-mêmes. Ainsi, la honte et la culpabilité sont à la fois générées et régénérées par la prise d’alcool.

La souffrance :

L’alcoolisme féminin est souvent lié à la souffrance psychologique ce qui est pleinement vérifié dans mon étude. Un événement provoquant une fracture dans l’histoire personnelle vient parasiter le fonctionnement quotidien et tout bascule. L’accumulation des souffrances contribue à l’installation de la dépendance.

La violence :

Elle est révélée dans 7 histoires de vie. Une violence destructrice qui peut être à l’origine de l’alcoolisation et qui peut favoriser la perte de confiance en soi. Je fais le lien entre la violence, la souffrance et la basse estime de soi, un « cocktail » qui favorise l’alcoolisme.Je n’écarte cependant pas la violence qui peut aussi être la conséquence d’une alcoolisation…

Le remplissage :

Il peut s’agir d’un remplissage par défaut, l’alcool pouvant être utilisé comme :

– le substitut d’une vie affective, d’une vie conjugale, d’une vie érotique.

– le substitut de la maternité, le ventre est rempli par l’alcool. Se sentir remplie, ne plus être creuse mais aussi se remplir pour oublier. Mais le lien entre l’alcoolisation et la dégradation de la vie érotique n’est cependant pas suffisamment étayé pour affirmer que le remplissage soit un équivalent érotique. Il y a des femmes qui boivent et qui ont une vie érotique…

Recommandations :

La notion du « encore » me semble capitale :

Il est encore possible d’intervenir sur le plan privé donc le public concerné en pratique sexologique quotidienne est limité ! Les patientes alcoolo-dépendantes me semble dans l’incapacité de faire une telle démarche : enfermées dans la sphère infernale de la dépendance et de ses avatars…La consommation abusive d’alcool (de la patiente) est donc méconnue du sexologue, elle est masquée et non avouée.

Deux problèmes vont se poser durant l’entretien sexologique :

– le problème du diagnostic en lien avec l’invisibilité du symptôme et l’indicible.

– le problème de la prise en charge en lien avec l’impréparation du sexologue à faire face à ce diagnostic.

Comment en tant que sexologue peut-on assumer ce constat ?

La question de l’aveu est centrale car c’est une recommandation vraie. L’aveu est à mettre en lien avec la pudeur : car la pudeur arrête le langage. On parle de « pudeur verbale » des alcooliques. L’acte de boire de l’alcoolique ne peut se montrer, ce qui ne peut se dire ne peut davantage se laisser voir, tout comme la vie érotique de tout un chacun. C’est pourquoi l’aveu de l’alcoolique ouvre en même temps à la question de la fonction érotique.

Cette question n’est donc pas à prendre à la légère et impose au sexologue une « éthique » sans faille, à la hauteur de ce dévoilement de l’intime qu’est l’aveu alcoolique. L’aveu de la femme alcoolique nous renvoie au delà de la question du tabou de la sexualité ; dans la culture du dégoût de soi, de la honte, du « manque à jouir »… La question de la formation et de l’information des sexologues est donc posée… c’est en ce sens que « l’aveu mérite salaire » et que la confiance « donnée » par le biais de l’aveu mérite un retour équivalent… Avec l’aveu, l’alcoologue et le sexologue deviennent donc partenaires…

Horizons en pratique quotidienne :

Le sexologue vient donc éclairer la question sexuelle dans une équipe d’alcoologie. Car les alcoologues, comme beaucoup de spécialistes, neutralisent l’importance des motivations affectives et érotiques dans la visibilité des symptômes.

En premier lieu, c’est la formation des sexologues en alcoologie qui semble incontournable au regard des chiffres annoncés tant sur le plan des consommations que sur le plan des répercussions sexologiques. L’étude a été réalisée auprès des femmes mais n’oublions pas le public masculin, très en demande, qui consulte plus tardivement que les femmes et qui place sa virilité, souvent, dans la performance et utilise l’alcool dans ce but.

Enfin, la prévention dans une approche mettant l’accent sur le plaisir me paraît incontournable. Il est important d’avoir en tête que l’alcool est présent dans presque toutes les demeures et qu’il est utilisé couramment à des fins érotiques, notamment dans le but d’augmenter les performances sexuelles. C’est un véritable aphrodisiaque licite qui n’a aucunement besoin d’être prescrit ! Il suscite le désir par la levée d’inhibition, il favorise le passage à l’acte et peut être utilisé comme « remède » dans le cas d’inappétences coïtales, par exemple. Par ailleurs, il ne faut pas occulter l’usage de l’alcool pour ses propriétés anesthésiantes, notamment dans le cas de dyspareunies.

La tâche ingrate du sexologue en lien avec l’alcoologie consiste, en définitive, à redonner leurs places à ces symptômes invisibles que sont le dégoût, la honte, la souillure… Il ne peut y avoir d’intervention sexothérapeutique sans aveu, même si la clinique sexologique est constituée de l’indicible d’une jouissance, bien souvent absente chez la femme alcoolique. C’est peut-être pour cela que la femme met en avant son alcoolisation, la vie érotique s’ouvrant alors dans un second temps.

J’ai eu le sentiment que l’attente de ces femmes était autant d’être invité à parler de leur vie affective et érotique « compliquée » que de leur rapport à l’alcool… Dans l’entretien sexologique, les pleurs peuvent constituer la source d’un réinvestissement narcissique car la souffrance est réelle lorsqu’il s’agit de se réapproprier un corps qui a fait l’objet de tant d’irrespect dans l’errance alcoolique. Pourtant, ces femmes n’en demeurent pas moins des femmes désirantes dans le secret de leur chair.

L’étude que j’ai mené, les éléments théoriques et l’enquête m’ont permis d’établir une sorte d’état des lieux de la désinhibition érotique des femmes alcooliques. Et, à l’évidence, le « cocktail » alcool, féminité et orgasme ne fonctionne pas : l’alcoolisation n’est pas pourvoyeuse de l’orgasme même si elle alimente le passage à l’acte.

Je conclue sur l’importance de plusieurs points clés concernant la fonction érotique des femmes alcooliques :

– D’une part, l’alcool « neutralise » la capacité à « orgasmer » mais étaye la fonction du désir. Dans l’accompagnement du sevrage, il faut donc interroger le rôle de l’alcool dans la fonction du désir féminin. Il apparaît que cette question peut être centrale dans l’accompagnement du maintien du sevrage.

D’autre part, deux invitations à rechuter, – qui peuvent être concomitantes-, se dessinent alors :

– L’une concerne le fait que l’alcool atténue les motifs de mésententes conjugales. Avec le sevrage, ces dernières se réveillent et la femme peut revenir à la consommation pour accepter un quotidien pénible.

– L’autre réside dans le fait que la surconsommation d’alcool peut apparaître comme le seul moyen d’être en relation avec les sensations érotiques dont la promesse ne peut cependant être tenue mais qui constituent les satisfactions narcissiques minimales pendant un certain temps.

Mais qui pose cette question en alcoologie ? Personne ! Car la vie affective et érotique des femmes alcooliques est taboue et n’intéresse à vrai dire pas grand monde. J’affirme ici que c’est dans bien des cas un facteur majeur de consommation et de rechute et qu’il convient d’appréhender avec le plus grand sérieux la fonction érotique des personnes alcooliques.

L’information, la formation sur la vie affective et érotique de la femme alcoolique me paraissent aujourd’hui indispensables en alcoologie. Il en va de même pour les sexologues envers l’alcoologie. La voie est donc ouverte pour que l’alcoologie et la sexologie puissent partager leurs connaissances cliniques au bénéfice direct des patientes…

Quitter la version mobile